Nous sommes tous des négociateurs et la négociation est omniprésente tant dans les domaines privés que publics ou encore professionnels. La façon dont les négociations sont gérées et la qualité de l’accord obtenu influenceront non seulement la satisfaction de chacun mais également le maintien (ou non) des relations, le respect des termes de l’accord et le comportement des personnes dans les négociations futures. Pour cette raison, afin d’être efficace et dans le but d’obtenir des accords qui soient les plus optimaux possibles, tout négociateur se devra de prendre en compte les conséquences de ses actes à court, moyen et long terme.
La négociation est fréquemment perçue comme un système compétitif au travers duquel ce que l’un gagne est de facto considéré comme une perte par la partie adverse. C’est ce que l’on appelle le biais de somme nulle. Cette vision concurrentielle amène les négociateurs à privilégier leurs intérêts personnels au détriment des intérêts de leur interlocuteur et/ou des intérêts collectifs. De plus, les intérêts personnels sont souvent assimilés aux gains économiques et financiers à court terme ou, à tout le moins, aux aspects les plus tangibles et concrets des discussions.
Le problème avec ces conceptions des choses c’est qu’elles ne reflètent que très partiellement les enjeux qui se cachent derrière les négociations. Premièrement, parce que l’obtention d’un gain personnel élevé n’est pas nécessairement synonyme d’optimalité dans l’accord. Ensuite, parce qu’à côté des motivations tangibles et concrètes liées au gain économique ou financier à court terme, les individus poursuivent, au travers des discussions sur leurs divergences, bien d’autres objectifs, moins directement tangibles et dont les conséquences se mesurent généralement à plus longue échéance.
Parmi ces objectifs intangibles, on en épingle trois qui sont fondamentaux : les motivations liées à la relation, les motivations liées aux procédures et celles liées à l’image de soi. Prendre en compte ces objectifs intangibles nous contraint à adopter une démarche d’évaluation des accords sur les moyen et long termes plutôt qu’à brève échéance.
Prenons un exemple : vous négociez avec votre conjoint vos futures vacances de printemps (et oui, même une destination de vacances peut devenir matière à négociation). Celui-ci veut absolument aller à la mer alors que vous, personnellement, vous rêvez de longues balades en montagne. Au bout d’une longue discussion, à force de ténacité et de persuasion, vous avez obtenu gain de cause : ce sera montagne et randonnées. Vous avez même réussi à le convaincre de partir en avion (alors que ça le traumatise) et d’emmener votre filleul avec vous (enfant capricieux que votre conjoint ne supporte pas). Vous avez gagné ! Certes… Maintenant, prenez quelques minutes pour imaginer vos futures vacances. Pensez-vous vraiment qu’elles seront aussi reposantes et agréables que prévu?
Le même constat peut être appliqué au représentant de commerce qui conclut une vente en gonflant ses prix mais qui, en retour, perd un client précieux qui préférera à l’avenir faire affaire avec la concurrence.
Autre situation qu’un certain nombre d’entre nous ont eu à connaître : des négociations sociales, apparemment favorables, dont les accords se verront tôt ou tard non appliqués, voire dénoncés, ou, retour de manivelle, d’autre motifs d’insatisfaction émergeront qui ranimeront le conflit entre les parties.
Satisfaire ses intérêts personnels au détriment de ceux de l’interlocuteur lorsqu’on est impliqué dans une relation de longue durée avec lui n’est en réalité pas fort judicieux.
Les motivations liées aux procédures et à l’image de soi fonctionnent sur le même mode. Il n’est pas rare, par exemple, de rencontrer des négociateurs insatisfaits des accords obtenus alors même que ces accords leur sont favorables objectivement parlant. Les individus montrent, par exemple, une satisfaction plus grande à vendre une de leur possession moins chère mais après d’âpres discussions que de voir leur première offre de prix directement acceptée ; notamment parce que l’acceptation directe de leur offre leur laisse entrevoir l’idée que l’acheteur était prêt à payer bien plus pour entrer en possession de l’objet.
En somme, négocier implique plusieurs types de motivations et celles-ci ne sont pas toujours d’ordre économique. En répondant aux motivations réelles des parties, au-delà de ce qu’elles revendiquent, on s’offre la possibilité non seulement d’accroître l’optimalité des accords mais également de préserver la relation pour des négociations futures.
Enfin, la négociation ne s’improvise pas. Si les capacités en la matière peuvent être innées chez certains individus, il s’agit d’une compétence essentielle que l’on peut développer.
Pour aller plus loin : Psychologie de la négociation, S. Demoulin, Ed Mardaga 2014
Article co-élaboré avec Stéphanie Demoulin et
publié initialement sous le titre « Négociations au long cours »
dans L’Echo le 02/04/2015
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