L’incident social en 10 questions: quoi, comment, qui, prévention, menace ou opportunité d’évolution, le rôle des syndicats, … Si vous n’y trouvez pas réponse à votre propre question, soumettez-la moi ici
Qu’est ce qu’un incident social?
Par « incident social », il faut entendre tous les incidents, légers ou graves, qui émaillent les relations sociales dans l’entreprise: tracts inhabituels, mouvements de protestation, grèves, conflits mais aussi la progression de l’absentéisme, les manifestations graves de stress, etc.
Ces comportements ne sont pas fortuits. Dans certains cas, ils constituent une réaction à des décisions dont les conséquences seront négatives pour les salariés; par exemple, une restructuration qui débouchera sur des suppressions d’emplois. Mais, même hors de ce contexte, il arrive fréquemment que les incidents sociaux surviennent d’une façon totalement imprévue.
Ils sont alors le signe d’un disfonctionnement des relations sociales. L’employeur n’a pas vu, ou n’a pas voulu voir, que le management pratiqué dans l’entreprise débouchait sur des situations insupportables aux yeux des salariés.
Quels sont les principaux dysfonctionnements qui se trouvent à l’origine des incidents sociaux?
L’expérience montre que l’origine des incidents sociaux ne correspond pas toujours, loin de là, aux motifs mis en avant par les média à l’occasion, par exemple, des mouvements de grève dont ils rendent compte. La question des salaires, en particulier, dissimule bien souvent des motifs d’insatisfaction beaucoup plus circonstanciés auxquels on donnera l’appellation d’irritants sociaux.
Ceux-ci consistent en tous ces petits problèmes de la vie quotidienne dans l’entreprise, qui gâchent plus ou moins la vie de salariés et auxquels la direction, par négligence ou parce qu’elle n’en a pas connaissance, s’abstient d’apporter une solution. Il s’agira par exemple, de comportements inadéquats de la hiérarchie, de l’absence de réponse aux questions ou aux suggestions d’amélioration, des incertitudes sur les critères de promotion, d’une disponibilité insuffisante de l’encadrement, ou encore d’une absence d’information sur le devenir de l’entreprise.
Il suffit alors d’un fait déclencheur – «la goutte d’eau qui fait déborder le vase» – pour que les salariés manifestent que «ce n’est plus possible». Ils exprimeront alors souvent leur ras-le-bol en termes d’exigences. Mais celles-ci ne doivent pas faire illusion: elles ne sont que l’expression d’un malaise qui résulte d’autres causes, qu’il s’agira alors de découvrir afin d’y porter remède de façon durable.
Est-il possible pour l’entreprise de mener une politique de prévention des incidents sociaux?
De même qu’une politique de gestion de la qualité passe par une action préventive qui permettra d’éviter pannes et défauts, il est possible pour l’entreprise de mener une politique qui lui permettra d’éviter les incidents sociaux. Il lui faut, pour cela, mettre en place un dispositif de veille sociale.
Celui-ci consiste en une écoute permanente à tous les niveaux et passe par le recueil ainsi que l’analyse des «signaux faibles»: progression de l’absentéisme, des accidents de travail, des retards, des erreurs, des casses d’outils ou encore, des pannes résultant de négligences, volontaires ou non. Ce sont là autant de signaux avertisseurs d’une dégradation de l’ambiance de travail. Il pourra être également utile de procéder à une enquête d’opinion interne, ou mieux, à un audit de climat social.
A quoi faut-il veiller face à un incident social?
Il n’existe pas de «solution idéale» applicable en toutes circonstances.
Cela étant, les mesures adoptées doivent être soutenables sur le long terme en matière de coûts, d’organisation ou de gestion des compétences et les accords doivent être appliqués dans leur intégralité.
Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que le comportement futur des acteurs sera influencé par la façon dont le processus aura été géré.
Enfin, l’incident social constitue un symptôme de dysfonctionnement qu’il convient d’exploiter.
L’incident social, menace ou opportunité?
Lorsque, à la suite d’un incident social, la situation est revenue à la normale, pour la direction de l’entreprise, il est très tentant de ne pas en rechercher les causes ou de s’en tenir à un diagnostic superficiel et de stigmatiser «ces meneurs» de mouvement ou les syndicalistes qui en seraient à l’origine.
En fait, ceux-ci ne sont bien souvent que les porte-paroles de réactions qui s’expliquent par autre chose qu’une quelconque volonté de nuire et, à partir du moment où l’incident s’est produit, la direction de l’entreprise a tout intérêt à transformer la situation en opportunité d’évolution cad à en rechercher les causes véritables avec d’autant plus d’acuité que celles-ci se réduisent rarement aux motifs d’indignation mis en avant par les salariés et leurs représentants.
Les qualiticiens savent bien qu’un défaut constaté sur un produit est l’aboutissement de défaillances dans la chaîne de production. Le constat est pour eux l’occasion de remonter aux causes afin d’y remédier. Il n’en va pas autrement dans le domaine des relations sociales. L’incident doit constituer une opportunité d’évolution qui, par une réflexion sur les circonstances qui ont conduit les salariés à manifester leurs réactions négatives, permettra autant que possible de mettre en œuvre des actions correctives qui permettront d’éviter sa reproduction pour les mêmes raisons.
L’incident doit constituer une opportunité d’évolution qui permettra d’éviter sa reproduction pour les mêmes raisons
Comment se fait-il que les circonstances à l’origine des incidents sociaux n’aient pas été évitées à l’avance?
Certains employeurs ne savent pas nécessairement bien quelles sont les réactions des salariés aux évènements qui ponctuent la vie de l’entreprise et /ou leur attention est largement accaparée par les questions financières ou commerciales. Il en résulte que l’incident social, lorsqu’il survient, les surprend. De leur point de vue, rien ne laissait prévoir que des membres du personnel allaient menacer de se mettre en grève ou arrêter le travail.
Cette surprise peut largement résulter du peu d’importance accordée à la dimension humaine de l’entreprise par rapport à sa dimension économique ou commerciale. Il arrive, a posteriori, que l’on s’avise de ce qu’un certain nombre de «signaux faibles» ont été négligés alors qu’ils auraient dû attirer l’attention des dirigeants et susciter de leur part des mesures correctives.
Quel lien y a-t-il entre dimension humaine de l’entreprise et incidents sociaux?
Au-delà des outils qui permettent de détecter les évolutions défavorables du climat social, il est impératif que la direction soit avant tout persuadée que la dimension humaine de l’entreprise doit être prise en compte au même titre que ses dimensions commerciale, financière ou technique.
Il y a au moins deux bonnes raisons d’adopter cette attitude:
- d’une part, un incident social peut se montrer aussi coûteux qu’une défaillance technique ou un retard de livraison;
- d’autre part, entre deux entreprises concurrentes exploitant la même technologie à l’intention d’un même marché, sur le long terme, celle qui accorde le plus d’attention à l’humain, à la qualité de ses relations sociales, aura davantage de chances de s’imposer
Quels sont les acteurs potentiels lors d’incidents sociaux?
Pour les salariés, ce sont les organisations syndicales «représentatives», les représentants du personnel élus ou désignés mais aussi le personnel individuellement ou organisé en collectivités hors organisations syndicales «représentatives». En effet, si cette dernière hypothèse est jusqu’à présent moins fréquente en Belgique que notamment en France du fait de l’impossibilité pour de nouveaux syndicats d’accéder à la représentativité, elle n’est pas exclue.
Pour l’employeur, ce sont les organisations professionnelles qui peuvent prendre différentes formes, des représentants de l’entreprise – dirigeants ou cadres -, mais aussi lorsqu’il n’est pas présent dans cette dernière catégorie, le détenteur des capitaux et enfin, tout membre de l’encadrement en ce qu’il est l’animateur au quotidien de la relation entre l’employeur et le personnel.
Est-ce que ce sont les syndicats qui sont à l’origine des incidents sociaux?
Les dirigeants d’entreprise s’imaginent souvent que ce sont les syndicats qui sont à l‘origine des débrayages ou des mouvements de grève. Les choses sont plus compliquées. Les représentants syndicaux, quelle que soit leur volonté, seraient bien incapables de «mettre les salariés en grève» si ceux-ci n’avaient pas de bonnes raisons pour le faire. Les représentants du personnel expriment le point de vue de leurs mandants beaucoup plus qu’ils ne se comportent en leaders dont les mots d’ordre seraient aveuglément suivis.
Les représentants syndicaux, quelle que soit leur volonté, sont bien incapables de «mettre les salariés en grève» si ceux-ci n’avaient pas de bonnes raisons pour le faire
Evidemment, ils réagissent dans le style qui leur est propre et en tenant compte de la politique d’action spécifique à leur organisation syndicale. Ils peuvent, soit s’efforcer de temporiser ou de trouver un accommodement avec la direction, soit mettre de l’huile sur le feu et en profiter pour tenter de renforcer leur pouvoir. Mais ils ne sont pas seuls en cause: tout dépend en effet largement de la qualité des relations sociales que l’employeur a su construire avec le temps.
L’entreprise, dans une certaine mesure, a les syndicats qu’elle mérite. Si elle néglige leur point de vue, si elle manifeste à leur égard une attitude de mépris ou agressive, elle récoltera en retour une attitude également de mépris ou agressive. Un comportement ouvert et attentif – ce qui ne veut pas dire faire preuve d’une faiblesse complaisante – peut au contraire susciter une atmosphère de dialogue qui permettra de prévenir les incidents sociaux.
Comment analyser les causes réelles d’un incident social, après que celui-ci soit survenu?
Cette démarche est relativement complexe parce que les contextes sont chaque fois spécifiques et les intervenants multiples, chacun possédant une partie des informations.
Il convient d’arriver à reconstituer les faits, leurs origines et les motivations en interviewant un panel pertinent des protagonistes – tant parmi la hiérarchie que parmi le personnel – voire à procéder à une mise en commun.
Un processus d’analyse d’incidents de type «arbre des causes» ou encore plus certainement de type «diagramme d’Ishikawa», adapté aux relations sociales, permettra d’affiner la réflexion sur la ou les causes profondes des incidents sociaux.
Il s’agira rarement d’une seule cause et c’est surtout leurs récurrences qui permettront de les cerner /sélectionner efficacement. L’accumulation d’analyse et de résultats sur les causes permettra de rechercher et de mettre en œuvre les solutions les plus adéquates ainsi que de faciliter l’adhésion d’une direction à leur mise en œuvre.
Articles co-élaborés avec Hubert Landier et
publiés initialement dans L’Echo
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