La négociation sociale en entreprise

25 septembre 2022

Voici 17 questions / réponses qui balaient le domaine de la négociation sociale: le contenu, les participants, les accompagnants, les qualités des négociateurs, la préparation, le processus, en pratique, communication, conclusion, information, …

Qu’est-ce qui se négocie et quand?

La négociation sociale se déroule à plusieurs niveaux et en fonction de ces derniers, elle aborde de multiples aspects qui, tant en ce qui concerne la sphère que les acteurs ou le contenu, vont progressivement du général au particulier: interprofessionnel, sectoriel, parfois (sous-)régional, entreprise, division de l’entreprise.

De façon formelle et collective, la négociation sociale a pour objet la mise à jour périodique des conventions collectives, d’en préciser occasionnellement leurs modalités d’application mais aussi, le cas échéant, d’accompagner une situation de changement qui peut aller d’une nouvelle organisation de travail à la fermeture d’une entité. Plus son objet touche aux acquis ou au sentiment sécuritaire et plus l’importance de la dimension psychologique est un facteur de difficulté et de conflictualité dans la démarche. La négociation se pratique aussi de façon informelle, individuelle ou collective, avec ou sans représentants syndicaux, pour fixer des objectifs, régler des problèmes ponctuels,… l’accumulation des résultats au fil du temps étant susceptible de constituer un précédent dans le domaine concerné pour l’un ou l’autre des acteurs et d’avoir une influence sur la démarche formelle.

Enfin, là où elles ont lieu en entreprise, les négociations sociales formelles ordinaires ont lieu en général tous les deux ans, dans la foulée des accords interprofessionnels puis sectoriels.

La négociation est-elle la seule voie pour atteindre l’objectif visé?

Il est indispensable d’avoir un objectif clair quant au but à atteindre au terme de la négociation, ce qui est une banalité, mais aussi quant aux moyens d’y arriver.

En effet, une réflexion critique permettra de s’assurer qu’il n’existe pas peut être une alternative à la négociation (exemple : une réduction de frais qui passe par un autre poste budgétaire que tel poste de frais du personnel, l’utilisation d’une option légale, conventionnelle ou réglementaire perdue de vue) ou différents schémas à négocier. Ceci permettra de discerner les «chemins de traverse» qui pourront s’avérer utiles lorsque l’on rencontrera un blocage.

Qui participe aux négociations? Doit-on trouver un accord avec toutes les organisations syndicales?

Au niveau de l’entreprise, il s’agit de l’employeur lui-même ou de cadres parfois accompagnés d’experts d’organisations patronales et le personnel est lui représenté par des délégués, élus ou désignés, la plupart du temps accompagnés de permanents syndicaux.

A cet endroit, de part et d’autre, le degré de compétences est variable et dépend de l’accumulation d’expériences ainsi que d’aptitudes individuelles. En outre, la négociation se complique notamment par la prégnance des contingences économiques, de l’impact du processus ainsi que de l’application concrète de ses résultats sur l’environnement direct des acteurs, non seulement pour les représentants de l’entreprise qui ont pour objectif sa pérennité et la leur au sein de l’organisation, mais également pour les délégués syndicaux.

Bien qu’ils aient en général ces mêmes perspectives en vue, ces derniers sont redevables auprès de leurs mandants, ceci conditionnant leur représentativité et celle de leur organisations syndicale. Enfin, aucun des interlocuteurs ne peut perdre de vue ni les contraintes de l’entreprise, ni le fait qu’il existe au sein même du personnel une multitude d’attentes, de situations particulières et hétérogènes.

Dans le système belge, la négociation sociale est l’apanage des seules organisations syndicales représentatives et les accords sont validés par la signature d’au moins l’une d’entre elles. Ils ont alors une dimension juridique et constituent, avec la législation, la principale source du droit social au travers des conventions collectives sectorielles ou d’entreprise.

Qui peut accompagner l’employeur au cours d’une démarche de négociation?

Dès qu’une négociation est envisagée, et jusqu’à son terme, des compétences sont nécessaires notamment dans les domaines de la gestion financière, de l’organisation du travail, du droit, de la négociation, de la communication – interne et externe -, de la gestion des ressources humaines et ce, soit ponctuellement et séparément, soit simultanément.

Les entreprises qui ne disposent pas en interne d’une ou plusieurs de ces compétences peuvent faire appel à des intervenants extérieurs dont leur fédération professionnelle patronale sectorielle lorsqu’elles proposent ce type de service ou encore, leur secrétariat social, les cabinets d’avocats, des consultants indépendants.

L’avantage de recourir à sa fédération professionnelle réside d’une part, dans le fait que pour les employeurs affiliés, ce service est gratuit et d’autre part, dans le fait qu’étant régulièrement confrontés aux mêmes problématiques dans le même type d’environnement, leurs spécialistes ont une expertise particulière.

Cela étant, et c’est également le cas pour des représentants du personnel externes à l’entreprise, le risque n’est pas nul de voir les débats se compliquer de connotations idéologiques.

Qui entame un processus de négociation sociale et faut-il tout dire tout de suite?

Un processus de négociation sociale peut être initié tant par les représentants de l’entreprise que par des représentants du personnel voire le personnel lui-même.

Dans la pratique, la partie qui a suscité le processus entamera les débats sur le problème qui en est à l’origine et sur les éléments qui lui semblent contribuer à son analyse.

Chacun des interlocuteurs a tout intérêt à faciliter l’expression des intervenants, à prendre connaissance des éléments pertinents de la situation et à arriver à une compréhension partagée de la question.

En ce qui concerne la solution à adopter, dans la mesure où elle se construit à plusieurs, celle-ci nécessitera généralement des adaptations, des concessions de chacun des intervenants sur leurs propositions de départ. Il n’est donc pas conseillé de livrer d’entrée de jeu le maximum de ce que l’on serait prêt à concéder.

Quelles seraient les qualités ou les aptitudes d’un «bon» négociateur social?

Le négociateur idéal – ou l’équipe de négociateurs – se connaît, connaît ses limites, a confiance en lui, sait faire preuve d’humilité, d’empathie et est assertif, c’est-à-dire, qu’il agit en se respectant lui-même ainsi que ses interlocuteurs.

C’est un fin communicateur qui sait cerner la réalité des personnes avec qui il négocie et qui sait s’en faire comprendre. Il est essentiel de savoir dire les choses clairement tout en limitant au maximum le risque de blocage chez le partenaire de la négociation.

Il maitrise parfaitement le processus de négociation, est crédible, résistant au stress et apte à gérer les situations difficile. Il cherche à atteindre un résultat «gagnant/gagnant»

Enfin, il veille à l’évolution de ses compétences par le biais notamment de formations appropriées.

Comment préparer les négociations sur le plan du contenu?

Les négociateurs doivent être prêts. Evidence dira-t-on.

Pourtant l’urgence, la difficulté de procéder aux simulations, la rédaction de document ou la traduction en dernière minute font que l’on arrive à la table des négociations dans une situation qui n’est pas optimale. A-t-on validé les documents et les chiffres, a-t-on un document de travail à remettre qui n’est pas forcément le document de travail de la direction, a-t-on bien anticipé les questions et objections possible des négociateurs syndicaux, a-t-on réparti les rôles entre négociateurs patronaux, … autant de questions et de points d’attention à bien préparer pour augmenter ses chances dans la négociation.

Comment préparer les négociations pratiquement?

Très souvent des négociations se trouvent enlisées pour de stupides raisons pratiques : lieu, heure (souvent modifiés en dernière minute), beamer, papier, boissons, repas, photocopieuse, traducteur. Aussi futiles que puissent paraitre ces détails, il convient de bien les préparer pour s’éviter des tensions inutiles.

Quid du management dans le processus de négociation?

Le DRH tout comme le CEO doit apprécier le positionnement de son (top)management. En effet, le rôle du management est essentiel pour « porter le message de la direction ». Il doit au minimum être informé et au mieux, adhérer au projet de l’entreprise.

Quand les négociations entreront dans la phase «publique», les représentants des organisations syndicales informeront, consulteront et les collaborateurs (ou certains d’entre eux) se tourneront peut-être vers ces managers pour avoir un autre son cloche.

Rien n’est pire à ce moment que d’entendre le manager dire qu’il n’est au courant de rien voire qu’il désapprouve ce que fait la direction.

Comment apprécier la sensibilité des représentants du personnel à l’objet de la négociation?

Il est essentiel de prendre la mesure de la sensibilité syndicale, certainement quand la demande de négociation vient de la direction. Il existe un risque de créer une surprise parce que les représentants du personnel n’ont rien vu venir.

D’où l’importance de bien communiquer sur l’objectif de la négociation. Qu’il s’agisse de négociations sur des réductions de couts, il faut que les OS comprennent qu’il n’y a pas d’alternative à réduire les couts; qu’il s’agisse de négociations pour changer la situation existante, il importe d’expliquer le lien à la stratégie et au développement de l’entreprise. Les organes paritaires sont faits pour échanger et préparer le terrain, même si l’on sait la difficulté qu’il y a souvent à y mener des discussions sur le long terme.

Le rôle des permanents ne doit pas être sous-estimé. Ils sont en principe seuls compétents à signer une convention collective de travail (CCT), ce qui n’est pas le cas du délégué d’entreprise.

Qu’il s’agisse des délégués d’entreprise ou des permanents, la connaissance réciproque permet de mieux anticiper les réactions; la confiance réciproque permet de mieux « construire » un projet négocié.

Comment apprécier la sensibilité du personnel à l’objet de la négociation?

C’est le personnel qui donnera du poids aux positions syndicales.

Fort du support de la «base» pour reprendre le langage syndical, le délégué sera plus ou moins ferme. Tout ce qui permet au DRH ou au CEO de prendre la mesure de la sensibilité du personnel est bon à prendre.

Les systèmes sont divers, allant de grandes enquêtes à des canaux informels de remontée d’information, tout est précieux pour bénéficier de cette mesure du climat social et des attentes du personnel.

Souvent, l’on constate au moment des négociations, que cette dimension a été négligée dans la culture managériale. Ici aussi l’on revient au rôle du manager qui doit être à l’écoute de son personnel et faire remonter à sa direction ses constatations. Faire adhérer le personnel à la culture d’entreprise, créer une culture de l’engagement est un exercice difficile, de longue haleine, mais sera un des critères essentiels de performance sociale de l’entreprise.

Mener les négociations en réunion ou hors réunion?

Le propos n’est pas ici de décrire comment négocier. La littérature abonde. Il importe de savoir que l’on ne négocie pas qu’à la table de négociations. On continue aussi dans les couloirs, par les contacts informels, ou par d’autres voies qui permettent de faire avancer les affaires.

En Belgique, pays de concertation, l’on sait que nous sommes tous nés négociateurs. En fait, nous sommes plus un pays de compromis que de négociations. L’expérience et la modestie enseignent que malgré des années d’expérience en la matière, l’on commet encore des erreurs peu pardonnables et surtout que l’on peut toujours apprendre de celles-ci.

Malgré un emploi du temps chargé, lire la littérature en la matière, se former, participer à des forums d’échanges restent des musts.

En cours de négociation, à quoi faut-il veiller à court, moyen et long terme?

Les représentants de l’entreprise doivent constamment garder à l’esprit l’objectif de la négociation et envisager toutes les conséquences des solutions envisagées sur la viabilité économique à court, moyen et long terme.

Cette viabilité économique s’évalue bien sûr en termes de conséquences directes d’un éventuel conflit collectif – image, ralentissement ou arrêt du service ou approvisionnement de la clientèle – mais également en termes de conséquences, en général différées, de l’application du contenu des accords conclus, l’exemple type étant ici les coûts directs et indirects induits par exemple par une évolution des conditions de travail ou une hausse salariale, quelle qu’en soit la nature.

D’une façon générale, les accords devront être appliqués dans leur intégralité et les mesures adoptées doivent donc être soutenables sur le long terme en matière de coûts, d’organisation ou de gestion des compétences.

Enfin, il ne faut pas perdre de vue que le comportement futur des acteurs sera influencé par la façon dont le processus de négociation aura été géré.

Comment communiquer sur l’évolution des négociations?

Le point est extrêmement délicat. Quand les négociations progressent, il faut savoir que faire de la communication sur la négociation.

L’idéal est de convenir avec les représentants des organisations syndicales de comment communiquer. Des fuites peuvent torpiller les négociations ou… les aider au contraire. Chacun des négociateurs voudra gagner à sa cause un maximum de collaborateurs de l’entreprise.

Une approche convenue – pour autant que la confiance règne – est préférable à une communication en ordre dispersé. Dans certains cas, convenir de ne pas communiquer est essentiel pour permettre aux négociateurs de progresser. Tenir la confidentialité est un exercice difficile qui ne durera qu’un temps : cela implique d’être préparé à communiquer aussitôt la fin du black out survenue.

Comment conclure les négociations?

La rédaction d’un texte d’accord est un exercice toujours délicat et essentiel.

D’une part, pour une application sereine des textes, il faudra veiller à être aussi précis que possible et à ce que chacun en ait la même lecture. D’autre part, il faudra aussi éviter l’écueil juridique ou l’écueil de la mise en pratique (le département Payroll pourra-t-il l’appliquer techniquement, le département IT pourra-t-il assurer la programmation informatique dans les temps, le management pourra-t-il mettre les mesures en œuvre?).

Enfin, consulter les experts internes avant de conclure et certainement au moment de finaliser un accord est essentiel pour s’assurer de sa solidité. Recourir au juriste en droit social de l’entreprise ou à un avocat spécialisé est une dépense qui peut en éviter beaucoup d’autres par la suite.

Qui informe le personnel du résultat de la négociation?

En matière de relations sociales, a fortiori en situation de crise, la communication – tant interne qu’externe – doit être mise en œuvre par les responsables de l’entreprise.

Son contenu vise à donner un sens à la contribution de chacun et permet aux différents intervenants de comprendre la situation, le contexte, l’environnement ainsi que les perspectives positives ou négatives.

En interne, à travers toute l’organisation, tant à l’égard de la hiérarchie que du personnel et de ses représentants, la communication sera verticale et transversale, bidirectionnelle, fluide, complète, fiable, congruente, permanente et pédagogique.

Cela étant, les représentants du personnel ont un droit permanent de communication et d’information à l’égard de celui-ci, droit qui dans certains secteurs peut être conditionné à une concertation préalable avec la direction de l’entreprise sur ses modalités d’exercice.

Cette démarche ne se substitue cependant pas à la communication organisée par la hiérarchie de l’entreprise, elle constitue un complément utile en termes d’échanges d’informations entre tous les acteurs.

L’accord intervenu est-il inaltérable?

Tout accord conclu et toujours en vigueur doit être appliqué. Cela étant, toute CCT doit être périodiquement évaluée et peut être renégociée voire dénoncée.

Un écueil souvent rencontré est le maintien de vieux textes, peu ou mal appliqués, pour toutes sortes de bonnes ou moins bonnes raisons. La qualité croissante de la formation des délégués d’entreprise par les organisations syndicales amènera tôt ou tard un délégué à constater que telle ou telle CCT n’est pas correctement appliquée.

Un CEO ou DRH qui n’aura pas anticipé, se promet des moments houleux lors de ses réunions syndicales futures.

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Une analyse publiée dans L’Echo de 11/2009 à 03/2010

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